Le touriste qui aborde Joigny par le bas de la vieille ville, ou les bords de l’Yonne, ne manquera pas de remarquer cette haute et fière bâtisse qui, avec l’église Saint-Jean sa voisine, domine le centre ville et, se découpant sur le ciel, participe à lui conférer cette physionomie à la fois si pittoresque et si particulière : le château des Gondi – altière et austère sentinelle qui, du haut de ses quatre siècles, veille sur la ville, semblant présider à ses destinées….. et attendre d’elle en retour qu’elle le tire de sa léthargie.

Une fois passé ce moment de contemplation à distance, il cherchera sans doute à s’en approcher, poussé par le désir d’en voir et d’en savoir davantage sur l’origine et l’architecture de l’édifice.Avec un peu de  chance, il se sera documenté et aura appris que, succédant  à une motte féodale élevée par Rainart le Vieux en 996 et qui marque la date de la fondation de la ville (qui se souvient encore de la célébration du millénaire de Joigny il y a vingt quatre ans ?), le présent château a été voulu par le Comte de Gondi, qui fit venir comme précepteur de ses enfants rien moins que le grand Saint Vincent de Paul, et d’Italie l’inspiration de son château.

En effet, c’est l’un des plus grands noms de la Renaissance italienne, en la personne de Serlio, architecte entre autres du château d’Ancy-le-Franc, qui servit de modèle à Jean Chéreau pour l’édification de ce monument d’inspiration antique. Peut-être aura-t-il aussi appris que ce monument, dans sa définition actuelle, n’était qu’une aile d’un vaste ensemble destiné à former une cour fermée englobant l’église Saint-Jean, projet grandiose dont il pourra certes déplorer le non-aboutissement. Mais il se fera vite une raison en songeant aux coûts d’entretien prohibitifs que cela eût engendrés pour la municipalité, ainsi qu’en voyant que l’actuel bâtiment, dans sa forme « réduite », peine à trouver sa vocation.

Notre visiteur enclin  à la flânerie et à la curiosité admirera néanmoins à coup sûr ses hautes façades de pierre vermiculée, ses vastes fenêtres à meneaux, ses colonnes doriques, ses niches destinées à abriter des statues côté nord, sa haute toiture d’ardoise, le tout superbement restauré il y a quelques décennies. Si rien ne le prédispose à pousser la curiosité un peu plus loin, il en restera probablement là et poursuivra son chemin, ne cherchant pas à en savoir davantage. Peut-être cependant sa curiosité aura-t-elle justement été suffisamment aiguisée pour que l’envie le prenne de pousser la porte du bâtiment. Alors, notre visiteur ne tardera pas à se rendre bien vite à l’évidence : cette porte est bel et bien obstinément fermée, et une fois passé un moment de dépit, sa curiosité s’en trouvera exacerbée. Que peut bien receler cette altière et énigmatique bâtisse?

Eh bien, au risque de décevoir notre touriste de passage : non seulement notre château est désespérément fermé, mais aussi ce bel écrin n’est ni plus ni moins qu’une belle coquille vide. Joigny, que d’aucuns nomment une belle endormie, n’a pu trouver de contenu à la hauteur de son écrin. La ville manquerait-elle à ce point d’œuvres d’art, et de personnalités de premier plan, dont elle pourrait tirer fierté légitime d’évoquer la vie et l’œuvre, qu’elle ne puisse en faire le contenu d’un musée?

Et pourtant, ce ne sont justement pas tant les œuvres d’art qui manquent, que la place pour les exposer : il suffit pour cela de songer aux collections  de peinture du XVIème au XIXème siècles qui dorment dans quelque réserve. Et que dire des quelques célébrités qui, nées ou non à Joigny, y ont vécu ou œuvré – Jean de Joigny, Jean Chéreau, Germain Boffrand, Saint Vincent de Paul, sœur Sophie Barat, Marcel Aymé, pour ne citer que les plus connues, qui mériteraient, sinon qu’on les tire de l’oubli, du moins que l’on honore leur mémoire.

Alors, qu’attend donc notre cité pour tirer sa « belle au bois dormant  » de son sommeil? Sans doute les subsides, qui se sont raréfiées pour la culture ces temps derniers, mais aussi une volonté politique à la hauteur de son patrimoine et de son potentiel touristique………

Ceci posé : quel avenir pour notre château? Sa position dominante privilégiée, en surplomb au-dessus de la cité, assortie d’une vue panoramique sans égale, en fait (presque) le lieu de tous les possibles : musée, salle d’exposition, salle de conférence, salle de réception………

Mais ne pourrait-on pas tout aussi bien envisager, dans un premier temps, que les façades superbement restaurées servent de toile de fond à une fête Renaissance en plein air, ainsi que cela a déjà été fait il y a quelques années?

Reste en tout cas à souhaiter que, dans un avenir espéré proche, une bonne fée se penche enfin à son chevet et lui trouve une affectation et un contenu dignes de son intérêt tant historique qu’architectural et patrimonial.

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